7/2/2025
Hunger Games et les Murder Ballads: Le mystère de L'Arbre du pendu
Clément Rigaud
Crédit photo : Metropolitan Film
Certaines sonorités, aussi subtiles soient-elles, nous frappent parfois comme un éclair de lucidité. Trois ou quatre notes, à peine esquissées, suffisent à nous faire basculer dans un souvenir ; une image si fidèle qu’elle en tromperait la vérité, hérisserait les poils des plus stoïques d’entre nous.
Contrairement à ce que certains pourraient croire, The Hanging Tree ("L'Arbre du Pendu" en Français) n’est pas tiré d’une chanson traditionnelle. Suzanne Collins, l’autrice d’Hunger Games, en a écrit les paroles pour son dernier tome, La Révolte (Mockingjay). Lors de l’adaptation cinématographique, la mélodie a été composée par James Newton Howard avec l’aide du groupe folk The Lumineers.
Si la chanson est une création originale, elle s’inspire néanmoins des murder ballads, ces ballades populaires américaines et britanniques qui racontent souvent des histoires de crimes, d’amour tragique et de vengeance, on vous explique.
Une chanson inspirée des murder ballads
À l’origine, les murder ballads s’inscrivent dans la tradition plus large des ‘ballades’. Nombre d’entre elles, particulièrement celles que l’on chante encore aujourd’hui aux États-Unis, trouvent leurs origines au Moyen Âge dans plusieurs pays du nord de l’Europe, essentiellement dans les îles britanniques. Une forme de murder ballads naît aussi en France, elles sont appelées ‘complaintes criminelles’. Avec la colonisation, ces chants ont traversé l’Atlantique et se sont enracinés dans les Appalaches, où les premiers colons anglo-écossais ont perpétué ces récits de crime et de tragédie.
Dès le XVIIIᵉ siècle, les broadside ballads – des poèmes imprimés et distribués comme des feuillets volants – servaient à relater des faits divers et des crimes. Ces feuilles étaient souvent vendues aux abords des tribunaux, transformant la violence en spectacle et en marchandise. Certains de ces textes furent ensuite mis en musique, donnant naissance à des chansons qui, transmises de génération en génération, évoluèrent au gré des interprètes et des régions.
Murder Ballads : l'instrumentalisation du macabre
Ces récits chantés, souvent donc inspirés des faits divers, mettaient en scène, de manière récurrente, des femmes assassinées, souvent par leurs amants ou prétendants. Au XIXᵉ siècle, les ballades traditionnelles - des Appalaches en particulier - sont imprégnées de la peur du changement social, notamment face à l’émergence d’une forme d’émancipation féminine. Les meurtres de jeunes femmes y sont souvent motivés par leur indépendance ou leur liberté sexuelle, considérées comme une menace pour l’ordre établi. À travers ces récits chantés, c’est toute une société en mutation qui se dévoile, tiraillée entre le poids des traditions et les notions naissantes du modernisme américain. Ces chansons servaient ainsi d’avertissement implicite contre la transgression des conventions morales, tout en contribuant à façonner un imaginaire collectif marqué par une représentation tragique et codifiée des destins féminins. Elles punissent symboliquement les femmes qui défient les attentes sociales, tout en mettant en scène la domination masculine sous une forme tragique et inéluctable. Pourtant, en circulant et en se transmettant, ces chansons ont aussi permis de faire émerger une conscience critique, mettant en lumière l’injustice et l’arbitraire de cette violence.
L'Arbre du pendu
Cette chanson porte une dualité fascinante. Non seulement elle appartient à l'univers de Hunger Games, mais elle a aussi, par son caractère évocateur, rendu poreuses les frontières entre la fiction et la réalité. À sa sortie, le chant 'L'Arbre du pendu' ne se contentait pas d’accompagner la saga ; il devenait, au fil des partages et des interprétations, un véritable emblème, porté à l'écran comme un hymne de résistance, chanté dans les rues, réclamant la révolte. Pourtant, il trouve ses origines dans l’innocence d'une comptine que Katniss, enfant, entendait dans son foyer. Ce contraste entre sa première incarnation, presque enfantine, et son rôle ultime de cri de ralliement dans le film, révèle la manière dont un simple air peut se transformer en symbole de lutte. La chanson, au-delà de son existence dans l’imaginaire, s’est métamorphosée en un fragment de notre propre mémoire collective, inscrivant son influence au-delà des écrans et des pages.
À première vue, les paroles évoquent un pacte tragique entre deux amants. Elles racontent l’histoire d’un homme pendu à un arbre, qui appelle son amour à le rejoindre. Elles sont étranges, envoûtantes. À mesure que la chanson se répand dans l’univers de Hunger Games, son sens évolue. Dans le contexte du film, cette complainte funèbre devient un appel à la résistance. L’homme pendu symbolise les victimes du régime oppressif du Capitole. L’invitation à le rejoindre sous l’arbre peut être lue comme un serment révolutionnaire : accepter de se battre, quitte à risquer sa vie.
De la mise en garde à l’émancipation
Ces récits ont, de manière frappante, contribué à forger une image stéréotypée des victimes. En transformant des faits réels en histoires moralisatrices, ils servaient avant tout à discipliner les femmes, leur rappelant ce qu’il en coûtait de revendiquer leur autonomie. Ces chansons s’inscrivent ainsi dans une tradition où la violence masculine est banalisée, voire esthétisée, tandis que la souffrance des femmes devient un objet de fascination morbide.
Mais cette tradition n’est pas restée figée. De nombreuses artistes féminines ont repris ces chansons pour en renverser le message. Des chanteuses comme Dolly Parton ont détourné ces récits pour leur donner une lecture féministe, où la femme n’est plus une victime silencieuse, mais une actrice de sa propre histoire. Dans Hunger Games, The Hanging Tree opère un retournement similaire : là où une murder ballad traditionnelle aurait servi à rappeler aux femmes leur vulnérabilité, cette chanson devient un hymne de résistance et d’émancipation.
Cette évolution témoigne d’une relecture critique des récits du passé. Là où les murder ballads du XIXᵉ siècle servaient à conforter l’ordre patriarcal en stigmatisant les femmes qui s’émancipaient, leurs reprises modernes en font un outil de subversion. Loin d’être de simples chansons folkloriques, elles deviennent alors le reflet d’une lutte plus large : celle des femmes pour se réapproprier leur propre histoire et briser le cycle de la violence qui leur a été imposé.




7/2/2025
Hunger Games et les Murder Ballads: Le mystère de L'Arbre du pendu
Clément Rigaud
Crédit photo : Metropolitan Film
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Certaines sonorités, aussi subtiles soient-elles, nous frappent parfois comme un éclair de lucidité. Trois ou quatre notes, à peine esquissées, suffisent à nous faire basculer dans un souvenir ; une image si fidèle qu’elle en tromperait la vérité, hérisserait les poils des plus stoïques d’entre nous.
Contrairement à ce que certains pourraient croire, The Hanging Tree ("L'Arbre du Pendu" en Français) n’est pas tiré d’une chanson traditionnelle. Suzanne Collins, l’autrice d’Hunger Games, en a écrit les paroles pour son dernier tome, La Révolte (Mockingjay). Lors de l’adaptation cinématographique, la mélodie a été composée par James Newton Howard avec l’aide du groupe folk The Lumineers.
Si la chanson est une création originale, elle s’inspire néanmoins des murder ballads, ces ballades populaires américaines et britanniques qui racontent souvent des histoires de crimes, d’amour tragique et de vengeance, on vous explique.
Une chanson inspirée des murder ballads
À l’origine, les murder ballads s’inscrivent dans la tradition plus large des ‘ballades’. Nombre d’entre elles, particulièrement celles que l’on chante encore aujourd’hui aux États-Unis, trouvent leurs origines au Moyen Âge dans plusieurs pays du nord de l’Europe, essentiellement dans les îles britanniques. Une forme de murder ballads naît aussi en France, elles sont appelées ‘complaintes criminelles’. Avec la colonisation, ces chants ont traversé l’Atlantique et se sont enracinés dans les Appalaches, où les premiers colons anglo-écossais ont perpétué ces récits de crime et de tragédie.
Dès le XVIIIᵉ siècle, les broadside ballads – des poèmes imprimés et distribués comme des feuillets volants – servaient à relater des faits divers et des crimes. Ces feuilles étaient souvent vendues aux abords des tribunaux, transformant la violence en spectacle et en marchandise. Certains de ces textes furent ensuite mis en musique, donnant naissance à des chansons qui, transmises de génération en génération, évoluèrent au gré des interprètes et des régions.
Murder Ballads : l'instrumentalisation du macabre
Ces récits chantés, souvent donc inspirés des faits divers, mettaient en scène, de manière récurrente, des femmes assassinées, souvent par leurs amants ou prétendants. Au XIXᵉ siècle, les ballades traditionnelles - des Appalaches en particulier - sont imprégnées de la peur du changement social, notamment face à l’émergence d’une forme d’émancipation féminine. Les meurtres de jeunes femmes y sont souvent motivés par leur indépendance ou leur liberté sexuelle, considérées comme une menace pour l’ordre établi. À travers ces récits chantés, c’est toute une société en mutation qui se dévoile, tiraillée entre le poids des traditions et les notions naissantes du modernisme américain. Ces chansons servaient ainsi d’avertissement implicite contre la transgression des conventions morales, tout en contribuant à façonner un imaginaire collectif marqué par une représentation tragique et codifiée des destins féminins. Elles punissent symboliquement les femmes qui défient les attentes sociales, tout en mettant en scène la domination masculine sous une forme tragique et inéluctable. Pourtant, en circulant et en se transmettant, ces chansons ont aussi permis de faire émerger une conscience critique, mettant en lumière l’injustice et l’arbitraire de cette violence.
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